La boîte de chocolat dans une main, la lettre dans l'autre, j'étais resté un bon moment devant ma boîte à lettre, à me demander quoi faire, ce matin-là. Était-ce une blague, un rêve, ou la réalité ? Le parfum de rose qui s'échappait de l'enveloppe m'envoûtait et me rappelait Rowan, son teint clair, l'or de ses cheveux, le bleu de ses yeux. Après être rentré finalement chez moi, j'ai lu et relu plusieurs fois les mots couchés sur le papier, piochant distraitement un chocolat de temps en temps, que j'ai enfourné et croqué avec volupté. Avachi dans mon canapé, je captais les sons bas de la tv qui tournait en permanence quand j'étais seul chez moi. La St Valentin. Je n'y avais jamais vraiment prêté attention, et je crois bien que l'année passée, je n'étais même pas sorti de chez moi parce que c'était mon jour de congé. Mais cette année, tout semblait me rappeler combien j'étais amoureux de Rowan, et combien il m'était difficile de ne pas être avec elle. Cette année, je travaillais, et voilà que je recevais cette mystérieuse invitation. J'avais longuement hésité à y invité ma malicieuse blonde, mais j'avais décidé que ce ne serait pas une si bonne idée que ça.

La lettre glissé dans la poche intérieure de ma veste, mon costume tiré à quatre épingles, mon masque sur le visage, j'avançais en direction des bois que je connaissais si bien, pour les parcourir assez souvent sous ma forme de loup. Cette fois, le calme et la sérénité du lieu étaient remplacés par l'agitation et l'exaltation des danseurs, qui formaient de petits couples à l'allure fragile et gracile. Chacun se cherchait, riait, flirtait. Qu'est-ce que j'étais venu faire ici au fait, dans mon costume disco blanc, chemise et chaussures compensées noires, un simple loup noir pour cacher une partie de mon visage ???

A mesure que j'avançais vers les convives, la musique et le buffet, une sorte d'angoisse m'envahi et je failli faire demi-tour. Mais une petite voix dans ma tête m'enjoignait à rester, à profiter, à m'occuper de moi, pour une fois. Et qui sait, peut-être que j'y retrouverai des amis, des connaissances, et peut-être même que je passerai un bon moment ?

Mais Rowan ?

Si Rowan arrivait, je le saurai tout de suite, je le sentirai, ses pensées exploseraient dans mon esprit, et je saurai alors quoi faire, quoi dire.

Je rendais les sourires qu'on me tendais, je saluais d'une révérence quelque dame haut en couleur. J'effectuai quelques pas de disco en accord avec d'autres qui avaient eu la même idée que moi pour le costume. La fête était agréable, les danseurs aussi. Une bonne ambiance régnait là. Une question me taraudait cependant : qui nous avait invité, et dans quel but ?

Elle est arrivée et aussitôt mon regard se posa sur elle à l'autre bout de la fête. Elle portait une robe claire assortie d'un châle et de souliers à talons. Son masque avait beau cacher son visage, je savais que c'était elle, sans même lire le tumulte de ses pensées. L'or de ses boucles blondes, les fossettes aux coins de ses lèvres, son allure gênée, mal à l'aise d'être là sans savoir pourquoi. Je reportai mon regard sur la femme que j'avais invité à danser un peu plus tôt et m'excusai de l'abandonner pour aller me désaltérer. Je lui souris, la saluai, et m'éloignai, pour me diriger droit vers Rowan près du buffet qui sirotait du champagne. Un slow venait de recommencer et je ne laisserai pas ma chance passer. Je la scrutai tout en marchant dans sa direction, passant près d'autres couples, d'autres convives, les frôlant à peine, comme flottant entre deux sphères, entre deux mondes. Je n'étais plus tout à fait là, encore ancré cependant ici grâce à ma Liée. Elle se tourna et le contact visuel fut rompu, mais j'étais désormais près d'elle et je pouvais sentir son parfum porté par la brise nocturne. Quand elle reposa son regard dans ma direction, je lui souris et lui tendis une main pour l'inviter. L'autre main dans le dos, droit comme un i, j'avais plutôt l'air d'un marquis de la renaissance qu'un danseur disco, mais qu'importe. J'aimais jouer le jeu.

-M'accorderez-vous cette danse, Ma Dame ?

Reconnaitrait-elle mon sourire, ma voix, mon regard, le toucher de ma main, ou même mon odeur ? Finalement, je préférais qu'elle ne me reconnaisse pas tout de suite, pour laisser planer le mystère et savoir ce qu'elle pensait au fond quand elle pensait être dans les bras d'un autre homme.

La main tendue vers elle, je patientais, en proie à une certaine impatience. Mais j'attendais... Je l'avais toujours attendu.

Spoiler:

À un moment, je me demandais si je n'allais pas tout simplement rentrer à la maison. Non pas que je m'ennuyais, l'ambiance était super ! Chaleureuse, amusante et tout, mais tous ses couples qui riaient, dansaient, s'embrassaient à l'écart, ç'avait trop tendance à me rappeler ma propre solitude.

Enfin, ça faisait un moment que j'étais seule. Toute ma vie d'ailleurs je crois. Mais j'en avais pris mon parti et en temps normal, ça ne me dérangeait pas plus que ça. Seulement... Ce soir, c'était la soirée des amoureux par excellence, et je commençais à regretter d'être venue. Il aurait mieux valu que je reste enfermée chez moi, un bol de pop-corn, un verre de coca et un bon film d'action, plutôt que de me sentir oppressée par cette soirée bien trop romantique pour rester seul.

Alors que je faillis faire un geste pour m'en aller, mon regard tomba sur un homme en costume disco. Je lui souris instinctivement sans pour autant le reconnaître, n'étant pas ce qu'on pourrait appeler une personne physionomiste. L'homme s'approcha de plus en plus et je ne bougeais pas, limite hypnotisée par ses mouvements simples mais qui étaient d'un charme fou...

Ça y était. Je déraillais. Ils avaient dû mettre quelque chose dans l'air parce que j'étais incapable de me rappeler ce que je pensais l'instant d'avant, c'était pas possible autrement. L'homme m'invita à danser, et sans parler, ma main rejoignit la sienne toute seule, comme une grande, sans même me demander l'autorisation !

Ce n'était vraiment pas dans mes habitudes d'accepter quelque chose venant de quelqu'un que je ne connaissais ni d'Eve, ni d'Adam. Et pourtant, je me sentais en sécurité avec lui. Rien qu'en touchant sa main, un bien-être m'avait envahie, et ce fut avec un sourire un peu rêveur que je joignis mon pas au sien. Il m'enlaçait sur la piste de danse, pour un slow des plus tendres.

- Qui êtes-vous ?

La question était sortie comme ça, et j'en prenais toute l'ampleur de la bêtise. Une soirée masquée n'était pas faite pour découvrir tout de suite qui était qui, voyons ! Rowan, cesse de te comporter comme une attardée ! Ça commence à bien faire !

Elle semblait hypnotisée et accepta mon invitation à danser sans opposer la moindre résistance. C'était trop facile mais j'appréciais aussi de l'avoir rien que pour moi, pour une fois. Elle se laissait aller dans mes bras, enivrée par notre contact plus proche que jamais, elle ne me quittait pas du regard, les yeux pétillant de mille étoiles et en écho, les miens devaient pétiller aussi. Mon coeur frappait contre ma poitrine de la savoir si proche et de ne pouvoir avoir plus. Ma main droite était dans la sienne, la gauche au creux de ses reins, serrant son bassin contre moi, et la faisant tournoyer en rythme, lent et lancinant. Nous étions seuls sur la piste de danse, plus rien n'existait autour, ni les autres convives, ni la soirée, ni les rires et les voix. Seulement la musique et les lampions qui nous accompagnaient.

Sa voix me parvint comme dans un rêve pour me demander qui j'étais. Je souris. J'aurai pu lui dire la vérité. J'aurai pu lui inventer un mensonge de circonstance.

-Je suis celui qui fait battre votre coeur.

Se furent les seuls mots que je prononçai mais je savais qu'ils ne la laisseraient pas indifférente. Elle ne saurait peut-être pas plus. Elle ne se douterait sans doute pas. Et c'était peut-être mieux ainsi. Peut-être pourrai-je enfin jouer le rôle pour lequel j'avais été envoyé ici il y a deux ans, sans même qu'elle le sache, et sans que cela n'entache tout à fait notre relation si parfaite à ses yeux. Du moins pour le moment.

Alors que le morceau de musique touchait à sa fin, je ralenti le pas, la serrai un peu plus contre moi, et me penchai pour lui dérober un baiser au coin des lèvres, et me relevai, un sourire énigmatique en coin. Petit à petit, je me sentais un peu plus moi-même... Mais ce n'était pas encore ça. Je me languissais le jour où elle pourrait être à moi, rien qu'à moi, sans vérité dissimulée, à demi-mots.

C'était... Magique...

Oui, je crois que c'est le mot qui correspond le mieux à ce que j'étais en train de vivre. Cette sensation de flotter, cette impression d'avoir tout oublié, cette ambiance envoûtante... Je crois que depuis que l'inconnu m'a répondue, c'est comme si j'étais entrée dans un autre monde...

Mon entourage s'était tu, comme si un mur invisible me séparait du reste de la fête. Je bougeais plus que je dansais, mes yeux perdus dans le regard profond de mon cavalier. Pourtant, les sensations que je ressentais, j'avais comme une impression de déjà-vu que je n'arrivais pas à identifier, comme si je connaissais cet homme sans pour autant arriver à mettre un nom et un visage sur lui.

Vous est-il déjà arrivé de penser qu'un moment puisse être trop court et pourtant infini à la fois ? J'étais totalement hypnotisée, complètement sous le charme, ma main dans la sienne, son autre main sur ma chute de reins, son corps contre mon corps... Je perdais la notion de tout, ne vivant, ne respirant que pour ce moment comme je n'en avais jamais vécu. C'était intense...

Alors je fis une légère grimace quand notre danse finit par s'achever. Et alors que j'allais retrouver ma voix pour le remercier, il se pencha vers moi pour poser ses lèvres sur le coin des miennes. Et je ne sais pas si c'est un instinct trop longtemps contenu ou si le manque de relations amoureuses me conduisit là, mais une faim dévorante me prit et je me surprenais à en désirer plus. Je ne connaissais le désir que dans certains livres que j'avais lu, mais je pensais vraiment ne jamais l'expérimenter tant j'étais persuadée que ce phénomène ne pouvait qu'être rare.

La fleur bleue en moi associait inévitablement le désir à l'amour, et pourtant je n'étais pas amoureuse de mon partenaire de danse... Mais l'envie qu'il m'inspirait sur le moment me semblait trop... Exceptionnelle pour que je la prenne au sérieux. Cela devait sûrement être dû à toute la soirée, et au côté "masqué" qui faisait que cela ajoutait au romantisme de l'instant... Je faillis bien le retenir au moment où il s'éloigna mais je réussis par je ne sais quel moyen à m'en empêcher.

Mais j'avais du mal à le laisser partir. C'était fou ! Alors que nous n'avons même pas parlé, que nous n'avons fait que danser ensemble, je ne voulais pas cela se termine... Je restais plantée au sol, comme une plante verte, à le dévorer du regard, agrippant sans le vouloir son bras et sa main, refusant de le voir s'en aller en me laissant seule...

Son coeur et le mien battaient à l'unisson comme s'ils ne formaient qu'un seul organe, unique, pour un seul être. Ils nous insufflaient une vie qui semblait parfois nous manquer. Et leur rythme nous berçait, à mesure de la musique, de nos regards, nos sourires. Elle n'était plus la Rowan pour qui j'étais apparu sur ce pont il y a deux ans. Elle n'était plus cet être fragile et perdu. Elle était la force de ma vie, de mon existence, et son extase était sa force, lui prouvant qu'elle pouvait aimer et être aimer encore, même si elle ne s'en rendait pas encore compte.

Après ce semblant de baiser échangé, et m'être redressé, j'allais pour me retourner et partir, mais je sentis ses petites mains retenir mon bras et ma main, comme si elle refusait de me voir partir, d'être séparé de moi. Seulement, elle ne savait pas que c'était moi, Hades, son Daemon. Elle n'avait pas conscience de son attachement pour moi, seulement l'attirance pour ce corps, ce regard, cette alchimie entre nous, qu'elle commençait tout juste à deviner, le masque empêchant son cerveau empêchant de faire le rapprochement avec moi.

Posant mes yeux sur ses mains, je souris, contrit.

-Pardonnez-moi, Ma Dame. Je ne puis rester pour votre bon plaisir... et le mien. Il me faut partir et reprendre le cours de mon existence, dans l'anonymat le plus total..

Mon regard azur se posa sur ses lèvres, tentation suprême, puis ses yeux, constellés d'étoiles. Je ne pouvais pas rester. L'appel sauvage en moi se faisait trop pressant. je devais aller courir dans les bois et me transformer, laissant l'instinct prendre le dessus sur le contrôle apparent dont je faisais preuve pour ne pas lui avouer qui j'étais, et l'emmener avec moi.

-Nous nous reverrons bientôt... je vous le promets.

Ma respiration se fit plus pressante alors que j'hésitai pendant quelques secondes. Puis je la pris par la taille et me penchai pour l'embrasser, collant mes lèvres complètement contre les siennes, avec une passion retenue, tremblant légèrement d'un désir contrôlé.

Puis sans un regard, trop difficile à affronter, je me retournai et m'éloigner en direction des bois alentours, disparaissant des projecteurs du bal, rôdant encore à proximité pendant un instant. A l'orée du bois, on pouvait voir un tas de vêtements abandonnés, un masque noir jeté un peu plus loin...

Je crois qu'entre le moment où je le retins, et le moment où il est vraiment parti, je n'ai absolument rien compris...

Parce qu'il avait tenu compte de mes doigts enserrant sa main et son bras, il s'était aperçu que je ne voulais pas qu'il s'en aille... Même si cela avait duré une seconde, l'inconnu avait pris conscience que je ne voulais pas qu'il me laisse derrière lui. Cela était physiquement impossible.

Sans son contact, j'avais l'impression d'être proche de la noyade, que je ne retrouverai jamais la lumière du jour. J'étais totalement prise dans la spirale de l'instant présent, souhaitant l'étirer pour l'éternité. S'il partait maintenant, je perdrais la seule chance de connaître le bonheur qu'il venait de me faire entrevoir...

Ses mots avaient difficilement un sens pour moi et je ne savais pas quoi y répondre. Et alors que je pensais qu'il allait me tourner le dos, l'homme m'attrapa par la taille et me donna un vrai baiser cette fois. Et je crois même que c'est LE baiser, celui qui ne demande rien mais qui donne sans compter, celui qui inspire tout un répertoire de sentiments inconnus. Ses lèvres étaient si douces, tellement attirantes... J'avais envie que ce baiser dure, qu'il se fasse plus fougueux...

Mais l'inconnu s'éloigna. Ma déception était à la hauteur de ce geste : insondable. Je voulais dire des choses, mais ma gorge était tellement serrée à cet instant. Et même si ce n'était pas le cas, les mots ne venaient pas. Mon esprit avait l'air de s'être mis aux abonnés absents. Je restais encore droite sur la piste de danse, ne faisant même pas attention aux autres danseurs qui me bousculaient sans le vouloir. Je ne faisais que suivre le chemin qu'avait pris mon mystérieux amant du soir, effleurant mes lèvres de mes doigts tremblants pour essayer de savoir si ce que je venais de vivre n'était pas un rêve...

Je finis par me secouer la tête un peu brutalement, histoire de revenir sur terre. Cet homme, même s'il venait de m'assurer que nous nous reverrions, je pensais bien que cela ne pouvait pas être vrai. Nous ne nous connaissions pas, et il ne pouvait pas deviner mon numéro de téléphone ou mon adresse comme ça... Non, je me faisais des illusions.

Il me resterait ce souvenir brûlant d'une rencontre éphémère, sous la lune des amoureux de cette Saint Valentin, la première Saint Valentin qui sera à marquer d'une pierre blanche pour moi...